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Hommage à Isao Takahata

Dernière mise à jour : 6 juil. 2018



"Merci, Paku-san, de m'avoir parlé à cet arrêt de bus il y a 55 ans. Je ne l'oublierai jamais."

C’est sur ces mots que le réalisateur Hayao Miyazaki rendu hommage à son ami Isao Takahata qui nous a quitté le 5 avril 2018. Celui-ci était à l’origine des films tels que « Le tombeau des Lucioles », « Pompoko » ou encore « Le conte de la Princesse Kaguya ». Ainsi nous souhaitons lui rendre hommage à notre tour, en faisant une rétrospective de ce grand réalisateur.

Il nait à Ise (au Japon, au sud de Nagoya) le 29 octobre 1935 dans une famille de 7 enfants. Ses parents étaient très impliqués dans les questions sur l’éducation. En 1941, Takahata entre à l'école primaire d'Ôkayama. Pendant cette période et malgré la guerre, il en profite pour aller au cinéma. Ainsi il découvre « L'araignée et la tulipe » (1943) de Kenzô Masaoka. C'est le début d'une série de coups de cœurs pour les œuvres de Masaoka qui deviendra un de ses cinéastes de référence.


En 1945, il vit l’événement le plus traumatisant de sa jeune vie, en fuyant un raid aérien avec sa sœur aînée alors qu’ils étaient pieds nus et en pyjama. Il perd également de vue ses parents dans la foule et ne les retrouve que deux jours plus tard.

En 1954, son diplôme obtenu à la sortie du lycée, Takahata entre à l'université de Tôkyô, dans le département des Beaux-Arts. Là-bas, Takahata se familiarise avec la culture et la littérature française. Et prend conscience de toutes les possibilités visuelles et formelles de l'animation lorsqu'il découvre sur grand écran le chef-d'œuvre animé de Paul Grimault « La bergère et le ramoneur » (1952). En avril 1956, il abandonne les Beaux-Arts et entre au département de littérature française et c'est dans cette spécialité qu'il sort diplômé de l'université, en mars 1959.

Isao choisi d'opter pour une carrière complètement différente de ses études : il veut devenir cinéaste d'animation.


Il parvient à entrer au studio Toei Dôga (connu aujourd’hui sous le nom de Toei Animation), fondé en 1956, et qui a notamment pour but de réaliser des longs métrages pour le cinéma. Il débute comme assistant metteur en scène sur les premiers longs métrages et côtoie ainsi Yasuji Mori (animateur pionnier qui a notamment lancé le système de direction de l'animation au Japon) et Yasuo Ôtsuka (un des trois fondateurs de la Tôei Dôga). C’est là-bas qu’il devient aussi ami avec Hayao Miyazaki à travers le syndicat des animateurs du studio.

Takahata fait ses débuts en tant que réalisateur en 1963 sur des épisodes de la série télévisée « Ken, l'enfant-loup ». Faisant preuve d'un talent indéniable, il est choisi par Ôtsuka en 1965 pour mettre en scène son premier long métrage « Horus, Prince du Soleil ». Avec ce film, Takahata et son équipe ont pour ambition d’opter pour un ton plus adulte que les œuvres précédentes de la Tôei, avec comme but de s'adresser à toutes les générations, et non plus aux enfants. A travers la création du film, Takahata donne une véritable envergure au rôle de réalisateur et innove dans la mise en scène en intégrant des techniques cinématographiques propres aux films en prise de vue réels. Takahata laisse également une grande liberté aux animateurs. Miyazaki travaille d'ailleurs comme animateur clé et apporte de nombreuses idées dans la conception scénique.

Malheureusement, c’est un échec commercial. Takahata se voit rétrogradé au rang d'assistant réalisateur. Deux ans plus tard, convaincu que les perspectives de carrière à la Tôei Dôga ne le mèneront nulle part, Takahata décide de quitter le studio.

En 1971, il rejoint le studio A Production. Il entraîne avec lui l'animateur Yôichi Kotabe et Hayao Miyazaki et y retrouve Yasuo Ôtsuka, arrivé plus tôt. Takahata est pressenti pour réaliser la future série « Fifi Brindacier », mais le projet n'aboutit pas.


La collaboration de Takahata avec Miyazaki se poursuit en 1972 et 1973 notamment avec la réalisation des séries « Lupin III » et de « Panda, Petit Panda ».

En 1974, il est choisi pour diriger « Heidi ». Cette série de 52 épisodes que Takahata réalisera intégralement, avec l'appui de Miyazaki sur l'animation et la conception scénique, marque le début du cycle des séries annuelles des « Sekai Meisaku Gekijô », ou « World Masterpiece Theater » ou encore « Les œuvres classiques du monde entier », qui consiste à adapter des romans célèbres de la littérature pour enfants. Takahata réalise deux autres de ces séries annuelles pour le compte de la Nippon Animation « Marco » en 1976 et « Anne, la maison aux pignons verts » en 1979. Elles connaissent également un grand succès auprès des enfants comme des parents.

Takahata participe également à de nombreux autres projets en tant que storyboarder, metteur en scène ou scénariste, notamment sur la série « Conan, le Fils du Futur », réalisé par Miyazaki.

Entre 1976 et 1981, il se consacre à la réalisation du long métrage « Gauche, le Violoncelliste », au sein du studio de sous-traitance Oh! Production. Le film non commercial, rend hommage à l'œuvre de l'écrivain Kenji Miyazawa, et est récompensé par le prix Ofuji, qui est la distinction annuelle de référence pour l'animation au Japon.

Parallèlement, Takahata travaille avec Ôtsuka au sein du studio Telecom Animation Film sur un autre long métrage « Kié, la Petite Peste », qui sortira en avril 1981 et sera ensuite décliné en série télévisée, qu'il réalisera également.

En 1982, il intègre la préproduction du long métrage « Nimo », une co-production nippo-américaine. Mais, comme Miyazaki et l'animateur Yoshifumi Kondô, il abandonne assez vite le projet et le poste de réalisateur qui lui est confié.


Quand Yasuyoshi Tokuma propose à Hayao Miyazaki de réaliser la version animée de son manga « Nausicaä de la Vallée du Vent », celui-ci émet une condition : Isao Takahata doit en être le producteur. C'est la première fois que Takahata produit un long métrage, mais il fait un travail formidable qu'il réitère avec la production de « Le Château dans le Ciel ». En 1987, il est à son tour produit par Miyazaki pour son documentaire en prise de vue réelle, « L'histoire du canal de Yanagawa ».

Entre-temps, Takahata fonde en 1985 le Studio Ghibli avec Miyazaki. Cependant, il n’a jamais voulu se considérer comme un membre à part entière de ce dernier, préférant être un « consultant » et garder ainsi son indépendance.

Son premier long métrage au sein du Studio Ghibli est « Le Tombeau des Lucioles » en 1988. Il est suivi de « Souvenirs Goutte à Goutte » en 1991 et de « Pompoko » en 1994, qui remportent tous deux un grand succès. En 1999, il fait un pari osé, aussi bien dans la forme que dans la teneur, en réalisant « Mes Voisins les Yamada ». Le succès commercial est mitigé, le film peine à rentrer dans ses frais.

Après cela on sait peu de choses sur les activités de Takahata si ce n’est qu’il a donné de nombreuses conférences, notamment en France.

En 2006, il commence à travailler sur un nouveau long métrage au sein du studio Ghibli. Mais ses problèmes de santé ralenti le projet. Et ce n'est qu'en 2012 que la production ne reprend véritablement. « Le Conte de la Princesse Kaguya » finit par sortir au Japon en novembre 2013. Même si le film n'a pas le succès escompté au box-office, Takahata a avoué être extrêmement fier de ce qui est probablement son ultime long métrage et qu'il considère comme un véritable aboutissement artistique.


À la suite de l'échec du long métrage de Hiromasa Yonebayashi « Souvenirs de Marnie », le studio Ghibli arrête la production de longs-métrages. Cela n’empêche pas Isao Takahata de réfléchir à de nouvelles réalisations : " J’ai des projets qui me tiennent à cœur et que j’aimerais réaliser, même si je ne suis plus tout jeune et que les difficultés de financement font perdre beaucoup de temps… "

Le 7 avril 2015, le réalisateur est élevé au rang d'officier de l’Ordre des Arts et des Lettres par l'État français. Au cours de la cérémonie qui s'est tenue à Tôkyô, Takahata déclare :

"La France est le pays où j'ai le plus voyagé et je suis des plus heureux d'être décoré par la nation dont je me sens le plus proche."

Fervent pacifiste et critique de la politique du gouvernement du premier ministre conservateur Shinzo Abe, Takahata participe, en 2015, au mouvement d’opposition au projet de faire adopter des lois sécuritaires visant à faciliter le recours à la force armée par le Japon. Il est l’un des fondateurs du groupe Eigajin Kyujo no Kai (« Les cinéastes pour l’article 9 ») pour la défense de l’article 9 de la Constitution, proclamant le renoncement à la guerre du Japon. En conférence de presse, en 2015, notre éternel amoureux de la culture française déclare préférer, à la citation latine "Si tu veux la paix, prépare la guerre", le vers du poète Jacques Prévert : "Si tu ne veux pas la guerre, répare la paix" (du poème Cagnes-sur-Mer, 1953).

A deux reprises, fin mars 2015 puis en novembre 2016, lors de ses venues à Pontoise puis au Forum des images à Paris, Isao Takahata fait part d'un projet de court métrage. Comme pour « Le Conte de la Princesse Kaguya », il est prévu de confier la direction de l'animation à Osamu Tanabe et la production à Yoshiaki Nishimura.

Mais des difficultés de financement puis des problèmes de santé vont empêcher le réalisateur de concrétiser cet ultime projet. A partir de l'été 2017, il fait plusieurs séjours à l’hôpital pour des problèmes cardiaques.

En novembre 2017, son état de santé se détériore encore, cette fois à cause d'un cancer du poumon.


Isao Takahata décède dans la nuit du 5 avril 2018 dans un hôpital de Tôkyô des suites de son cancer, à l'âge de 82 ans.

À la suite de cela une cérémonie publique à lieu le 15 mai 2018 à Mitaka, dans l'enceinte du Musée Ghibli. À cette occasion, les fans du réalisateur ainsi que ses proches étaient invités à venir se recueillir et lui transmettre leurs derniers hommages. Parmi eux, se trouvaient Toshio Suzuki, Joe Hisaishi, et évidemment, Hayao Miyazaki. Qui, pour ce dernier, pourtant connu pour sa rudesse, à laisser couler quelques larmes durant son temps de parole.

Joe Hisaishi l'a également remercié :

"Takahata-san m'a choisi comme compositeur sur Nausicaä alors que je n'étais personne. C'est grâce à lui que je suis qui je suis aujourd'hui. Je suis fier d'avoir travaillé avec lui. Il est toujours vivant dans mon cœur."

Ainsi Isao Takahata nous laisse avec des œuvres majeurs pour l’animation. Cependant, il inspire d’autres réalisateurs tel que Mamoru Hosada (« La Traversée du Temps », « Les Enfants Loups, Ame & Yuki ») qui regardait ses œuvres lorsqu’il était petit.

Et ce dernier lors de la présentation de son film « Miraï, Ma Petite Sœur » au 71e Festival de Cannes, avoue que pour lui Takahata lui a comme un passé le témoin, afin de développer encore l’expression de l’animation et de contribuer à l’animation dans le monde, comme l’ont permis Takahata et Miyazaki, avant lui.

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