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  • Ren

Devilman Crybaby, un pari réussi ?

Dernière mise à jour : 6 juil. 2018



Le Japon des années 1970 est un Japon d’après-guerre, qui connait des révoltes étudiantes, en 1969, ainsi que les attaques terroristes du Sekigun (l’armée rouge japonaise), la même année. Le Japon est donc en crise politique et économique et est moralement assez conservateur, puritain et effrayé pour l'avenir.

C’est à cette époque que Gô Nagai, ancien élève de Shotaro Ishinomori (« San Ku Kai ») va écrire et dessiner des mangas. Cependant, ceux-ci font l’objet de scandales tel que « L’Ecole impudique » pré-publié dans le magazine Shûeisha, en 1968, et feront l’objet de censures par les associations de protection de la jeunesse.

Nagai devient un énorme influenceur du manga moderne pour avoir inventé le genre méca (histoires dont un robot est le personnage principal, tel que « Mazinger Z »), ainsi que le genre ecchi (mangas érotiques tel que « Kekko Kamen »). Chez nous l'auteur est plutôt connu pour son oeuvre « Goldorak ». Il fait donc du manga un art subversif, une contre-culture, notamment avec son manga en 5 volumes, « Devilman », en juin 1972.

Cette oeuvre à pour réputation d'être violente, érotique, nihiliste. Nous montrant des personnages en avance sur leur temps, dans un monde en crise, où les humains ne font rien pour arranger les choses.

Ce manga connait un franc succès, puisqu’en juillet de la même année, est diffusé l’adaptation animé du manga, en 70 épisodes par la Toei Animation. Il connaîtra également plusieurs OAV (littéralement : vidéo d'animation originale) et un film en 2004.


Mais Devilman revient 46 ans après l’œuvre originale, en janvier 2018, en 10 épisodes, avec « Devilman Crybaby ». Réaliser par Maasaki Yuasa (« Lou, et l’île aux sirènes », « Ping,Pong ») et distribué par Netflix. Ce qui est un pari osé, puisque l’œuvre est encré dans son époque, et ici le réalisateur tente même de le remettre au goût du jour. Sachant que les autres adaptations furent des échecs cuisants, puisqu’ils oubliaient le message véhiculé par le manga, se concentrant sur le gore ou se servant de l’œuvre originale comme moyen marketing et deviennent donc totalement hors sujet. Ce n'était vraiment pas gagné.


Devilman Crybaby raconte l’histoire de Akira Fudô une personne très sensible qui, en l’absence de ses parents, vit chez les parents de Miki Makimura. Cependant, son meilleur ami Ryô Asuka va lui révéler que que l'ancienne race de démons prenant possession du corps des humains, est revenue sur terre pour la reprendre. Croyant que la seule façon de les vaincre est de prouver leur existence aux humains, Ryô suggère à Akira de l'accompagner pour voir des démons faire des possessions. Fusionnant lui-même à Amon, le Seigneur des Démons, Akira se transforme en Devilman, un être humain ayant les pouvoirs d'un Démon puisqu’il conserve son grand cœur.


Au premier abord, on pourrait penser que Devilman Crybaby est juste violent, psychédélique, montre du sexe pour du sexe, et que ça s'arrête là. Certains pensent même qu’il est mal dessiné. Certes, c'est un anime violent, psychédélique et contient du sexe. Pourtant, je ne suis pas de cet avis.

Pour commencer, le manga est porteur de message même si, ici, certains messages sont restés obsolètes, tel que l’homosexualité, qui, dans les années 70, était un sujet absolument houleux. De nos jours, et surtout en France, n’a plus un grand intérêt. Ce Devilman réussit malgré tout à retransmettre ce que le manga d’origine voulait transmettre : le monde humain court à sa propre perte.


Pour ce faire, le réalisateur a remodelé les personnages qui étaient en avance sur leur temps, en des personnages toujours en décalage mais qui ne sont plus en avance, voire en retard : Akira qui était un héros sans peur devient quelqu’un d’hypersensible puis un rebelle. Miki qui était un garçon manqué, un peu rebelle, devient une fille modèle, niaise avec un idéal dont tout le monde se moque. Et Ryô qui était un idéaliste déterminé devient un enfant riche qui veux avoir le contrôle sur tout. Yuasa ajoute à cela toute la problématique des réseaux sociaux qui prennent une grande place dans nos vies mais également dans ce récit. Par ce moyen on n'est plus enfermé au Japon, et les problématiques deviennent universelles.

Il ajoute, certains problèmes liés à l’adolescence, comme la découverte de soi. Mais également les problèmes liés à l’immigration, notamment par le biais de Miki, qui est métisse, et qui est, aux yeux des japonais, super cool, quand tout va bien, mais devient la bête noire, lorsque tout va mal.

Miki Makimura (à droite), Akira Fudô (à gauche), et Miki Kuroda (au second plan)

L’anime va nous montrer qu’il est une contre-culture qui marque son époque et que la contre-culture, elle-même, marque son époque, en utilisant la musique, notamment celles des freestyles des voyous, qui montre qu’ils sont témoins d’une société qui va mal. De plus, l’utilisation du rap n’est pas anodine, puisque le rap est une contre-culture contestataire.(https://soundcloud.com/user598184733/sets/devilman-crybaby-rap)

Et on nous montre cela en utilisant le vieil animé également.


Car Devilman Crybaby ne fait pas un simple clin d’œil à ses origines, il assume son héritage, et le réutilise. L'animé de 72 est montré comme un animé dans le récit qui va donner l’exemple à Akira et va vouloir devenir ce même Devilman : un héros sans peur et sans reproche. On pose ici la question de l’évolution du récit mais également des icônes, qui restent toujours autant appréciés malgré le fait qu’ils ont été créés il y a longtemps (comme Superman par exemple). Mais ces deux questions sont vouées à l’échec car les humains ne deviennent pas comme leur icône et n’évoluent pas, enfermés dans un cycle. Ce dernier point est montré par Crybaby, par le biais de la course de relais, qui au fur et à mesure des épisodes prend tout son sens. Il y a un passage de témoin, un héritage, ainsi qu’un éternel recommencement. (Est-ce peut être une référence au bouddhisme japonais ? Qui veut qu’il y ait un cycle de renaissance et de souffrance dans lequel sont pris les êtres non éveillés ?)


On nous montre donc l’humanité et ses travers. On se demande ce qu’est un humain, ce qu’est un démon ? Ce par quoi Akira répondra que ce sont les émotions, notamment l’empathie qui font de nous un humain. Et cette empathie, il veut la transmettre, comme un témoin, notamment à Ryô. Finalement, on se rendra compte que même le diable peut pleurer. L’anime est à la fois niais et nihiliste. Dont même l’animation prend par à véhiculer tout cela.

Il faut savoir que le style coloré, simpliste, difforme, dynamique et psychédélique qu'on peut reprocher à Devilman, est propre à Maasaki Yuasa.

Mais sa manière de faire nous montre encore une fois un héritage. Héritage provenant de l’animation en elle-même puisque dans les années 70, par économie, l’animation allait à l’essentiel, animant surtout les moments clefs et les émotions fortes. Quelque part, c'est ce qui est le plus important dans cet univers, les moments clefs et surtout, les émotions.

Pour nous renforcer un peu plus l'univers de Devilman, le réalisateur va jouer avec la façon de montrer les choses, d'animer. Lorsque le monde est perdu, sur le point de devenir fou, l’animation y est psychédélique, dynamique et colorée. Lorsque le monde est effrayé, dans la perdition, et est devenu fou, l’animation devient sobre, réaliste, posée (cf. épisode 8).

Même la difformité des personnages a un sens, puisque on ne sait ainsi plus qui est humain, qui est démon. Tout est mélangé, tout est difforme, on est en crise identitaire, on est perdu. Toute l’animation a été réfléchi, et est donc un choix voulu par le réalisateur, pour servir un propos.


Ainsi Devilman Crybaby réussit haut la main sa réadaptation. Ayant lu le manga, je trouve que les dessins sont un peu vieillissants et je n’ai pas vraiment su comprendre toute l’ampleur qu'il porte. Car n'ayant pas connu le Japon, ni même le monde des années 70, je n'ai pas pu être touchée. Cependant, par l'animé de Yuasa, j'ai pu comprendre et être touchée grâce à sa "mise à jour".

Devilman nous montre un monde où les humains court à leur perte et que lorsqu’ils s’en rendront compte il sera beaucoup trop tard. Ils n’auront plus que leurs yeux pour pleurer (et encore). Et cela ne fait que recommencer en boucle. Nous sommes dans un cycle tant que nous n’aurons pas pris conscience de tout cela. Et Devilman est là, comme témoin, il nous transmet cet avertissement (l'idée de course de relais fait vraiment le café). Et ce, avec une animation magistrale. Une B.O dont je ne me lasse pas. Et un doublage parfait en vo mais hélas peut être parfois un peu inégale en vf.

Encore une fois Devilman, marque notre époque et cette fois, en passant par l’animation, et permettra peut-être de donner aux plus curieux, l'envie de lire ce manga mythique.

Je vous passe le témoin : c'est une pépite à ne surtout pas manquer !



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